Le mythe des protéines végétales complémentaires - Jeff Novick, Forks Over Knives

Traduction Aurélie Kuhn-Barbey du blog vegan CherryPepper.

 

Il y a peu, lors d’un de mes cours de nutrition alors que je parlais de la qualité de l’alimentation végane pour répondre à tous les besoins nutritionnels de l’Homme, une femme a levé la main et a affirmé: « J’ai lu que les aliments d’origine végétale ne contiennent pas tous les acides aminés essentiels à l’être humain et que pour être en bonne santé il faut soit manger des protéines animales, soit combiner les aliments d’origine végétale entre eux pour être sûr d’ingérer les protéines complètes. »

 

J’étais assez étonné d’entendre une telle affirmation, ce mythe, l’un des plus vieux mythes au sujet de l’alimentation végétale a été réfuté depuis bien longtemps. J’en ai informé l’intervenante, et la jeune femme a répondu être une interne en médecine et que le manuel de physiologie humaine actuellement utilisé dans son cursus affirmait cette complémentarité des protéines végétales et que lors des cours, les professeurs avaient bien insisté sur ce point.

 

J’étais abasourdi. Que des mythes pareils circulent encore parmi des populations non informées ou non éduquées pourquoi pas, mais qu’ils persistent dans la communauté médicale! Comment espérer alors que les gens puissent apprendre à manger sainement? Il est important de corriger cette désinformation, car beaucoup de gens sont effrayés à l’idée de devenir végétaliens à cause de ces « protéines incomplètes ».

 

Comment ce mythe de la « protéine incomplète » s’est-il répandu? 

 

Une idée fausse qui n’a rien d’anodin

 

Le mythe des protéines incomplètes a été popularisé en 1971 par Frances Moore Lappé dans son ouvrage « Régime pour une petite planète » (Diet for a small planet). L’auteure y affirmait que les aliments végétal sont déficients en certains acides aminés, et que par conséquent, afin d’avoir un régime alimentaire végétarien équilibré, il fallait combiner certains végétaux entre eux (céréales + légumineuses) afin d’ingérer tous les acides aminés essentiels dans les bonnes quantités.

 

Lappé ne pensait pas à mal et son erreur est compréhensible. Elle n’était pas nutritionniste, physiologue ou docteur, c’était une sociologue qui essayait d’apporter une solution à la faim dans le monde. Elle avait réalisé que la transformation des protéines végétales en protéines animales [l’élevage par exemple] était un gâchis; si les populations se nourrissaient exclusivement des protéines végétales bien plus pourraient être nourris.

 

Mais Frances Moore Lappé a réalisé 10 ans plus tard en 1981 l’invalidité de cette affirmation, s’est rétractée et a déclaré qu’en voulant abattre un mythe (la fatalité et l’inéluctabilité de la faim dans le monde), elle en avait créé un nouveau: le mythe de la complémentarité des sources de protéines.

 

L’auteure a modifié les éditions suivantes de son ouvrage et y affirme clairement que tous les aliments d’origine végétale habituellement consommés pour leur apport en protéine contiennent tous les acides aminés essentiels et ce dans une quantité suffisante. Si une personne consomme suffisamment de calories, elle est certaine d’ingérer assez de protéine dans un régime alimentaire végétal.

 

Les besoins en acides aminés

 

Savez-vous d’où provient ce concept des acides aminés essentiels et comment ont été calculés les apports minimums recommandés qui en découlent? En 1952, William Rose et ses collègues ont tenté de déterminer les besoins humains pour chacun des 8 acides aminés essentiels. Ils ont décidé que le minimum nécéssaire qu’ils établiraient serait le chiffre le plus haut qu’ils estimeraient parmi les personnes de leur groupe test. Une fois qu’ils eurent déterminé ce chiffre, ils l’ont simplement doublé en jugeant que ce chiffre était l’apport minimum recommandé, un apport qui serait sûr et suffisant pour tous.

 

Si vous calculez aujourd’hui les quantités d’acides aminés essentiels qu’apportent les aliments complets et naturels d’origine végétale et que vous les comparez aux valeurs édictées par Rose, vous verrez alors que tout aliment végétal complet et naturel [c’est à dire non transformé, ou « unprocessed whole natural plant foods » en anglais], ainsi que toute combinaison de ces aliments végétaliens non transformés (consommés comme seule source de calories dans la journée) apporte tous les acides aminés essentiels; et non pas le minimum nécessaire mais bien plus que les apports journaliers recommandés.

Il est désormais acquis par la recherche moderne qu’il est virtuellement impossible d’être carencé en un acide aminé essentiel avec un régime alimentaire végétal non transformé complet et naturel et un apport suffisant en calories (la seule exception serait le frugivorisme strict). 

 

Orgueil et préjugé

 

Malheureusement, le mythe des « protéines incomplètes » semble ne pas vouloir mourir. Dans un article d’Octobre 2001 du journal médical Circulation sur les dangers des régimes hyperprotéinés, le Comité sur la Nutrition de l’American Heart Association affirme: « bien que les protéines végétales composent une part important du régime alimentaire de l’Homme, la plupart sont déficientes en un ou plusieurs acides aminés essentiels et sont donc considérées être des protéines incomplètes ». Oups! 

 

Le docteur en médecine et auteur John McDougall a contacté l’éditeur et signalé cette erreur. Mais dans un exemple frappant que certains refusent les vérité scientifiques quand cela ne les arrange pas, le docteur Barbara Howard, qui est à la tête du Comité sur la Nutrition a répondu au Dr McDougall le 25 Juin 2002 (sans s’appuyer sur aucune référence scientifique) que le Comité était dans le juste et que « la plupart [des aliments d’origine végétale] sont déficients en un ou plusieurs acides aminés essentiels ». Apparemment, le Comité ne s’embarrasse pas des faits établis.

 

Peut-être n’êtes vous pas surpris par ces idées fausses véhiculées par la communauté médicale, mais le seriez-vous si la communauté végétarienne et végane le faisait également? 

 

Des références désuètes

 

Et bien, croyez-le ou non, un article publié en Septembre 2002 dans le Vegetarian Times commet la même erreur. Dans un article intitulé « Incroyables Aminés », l’auteure Susan Belsinger affirme de façon fautive: « les protéines incomplètes, qui contiennent certains mais pas la totalité des AAE (acides aminés essentiels), sont présentes dans les beans, les légumineuses, les graines et les légumes à feuilles (…) mais puisque ces aliments ne contiennent pas tous les AAE les végétariens doivent être attentifs à leurs repas et combiner les aliments des différents groupes. »

 

Un mythe dangereux

 

Suggérer de manière fautive que nous avons besoin des protéines animales pour manger équilibré encourage la consommation d’aliments qui contribuent de façon reconnue aux pathologies cardiaques, au diabète, à l’obésité et à de nombreux cancers.